Doctorante en littérature générale et comparée
courriels : svenja.jarmuschewski@univ-smb.fr
Titre de la thèse : La co-construction des paysages ordinaires dans les Observatoires photographiques des paysages et dans les oeuvres de François Bon
The co-construction of ordinary landscape in the works of François Bon and the photographic observatories of landscapes
Résumé
La question du paysage mobilise les recherches dans différents domaines des lettres et sciences humaines depuis les années 1970, avec les travaux importants de philosophes, géographes, historiens et littéraires comme Alain Roger, Augustin Berque, Anne Cauquelin, Michel Collot?, qui ont notamment montré que le paysage était une construction du regard, et qu'il a fallu apprendre à « voir » et valoriser la montagne, comme d'autres espaces, la mer, la campagne... Et les chercheurs constatent désormais que le concept de paysage quitte le sublime ou le pittoresque et se banalise avec la notion de « paysage ordinaire », comme l'a montré par exemple Raphaële Bertho, historienne de la photographie et auteure d'une thèse sur la Mission photographique de la DATAR. Les Observatoires photographiques des paysages (OPP), lancés dans les années 1990 dans le sillage de cette Mission, et qui se développent aujourd'hui sur les supports numériques en réseau, bénéficient en outre d'une dynamique nouvelle impulsée par la Convention européenne du paysage de Florence (2000). Celle-ci définit en effet le paysage en tant que « composante essentielle du cadre de vie des populations, expression de la diversité de leur patrimoine commun culturel et naturel, et fondement de leur identité » (article 5) et concerne «tant les paysages pouvant être considérés comme remarquables, que les paysages du quotidien et les paysages dégradés » (article 2). Mettant l'accent sur la perception des populations, elle encourage en outre fortement les démarches participatives dans l'identification et l'aménagement des paysages, perspective dans laquelle les OPP, avec leur nouvelle configuration numérique, pourraient constituer un dispositif privilégié. Alors que semble ainsi s'amorcer une patrimonialisation du paysage vernaculaire, il faut voir en effet comment on peut lui confronter une représentation de l'ordinaire ancrée dans l'expérience sensible et le vécu quotidien des individus, et s'interroger aussi sur la façon de partager, de rendre communes ces représentations souvent prises dans l'idiosyncrasie d'une pratique. Cette double orientation paysagère, désormais focalisée sur l'ordinaire (mais un ordinaire vécu, ou au contraire en voie d'institutionnnalisation ?), et inscrite dans une dimension collective (mais proclamée, ou effectivement participative ?), croise aujourd'hui des entreprises littéraires complexes, qui permettent d'approfondir ces questions. Celle d'un François Bon (Décor ciment, 1988 ; Paysage Fer, 2000) est par exemple conçue comme un tressage de voix : à celle, institutionnalisée, de l'écrivain, s'adjoignent, pour évoquer un lieu, les paroles de ceux qui l'habitent, par le biais d'ateliers d'écriture1. En outre, ses réécritures en ligne, sur le site Tiers Livre, visent une proximité toujours plus grande avec les expériences effectivement vécues (le trajet en train de Paysage Fer est repris au fil des témoignages d'habitants, absents de l'ouvrage initial, où dominait le constat du « il n'y a personne » ; le dialogue avec la photographie, la mise en place de divers dispositifs sériels, permet d'être plus attentif aux fluctuations de la perception quotidienne et à ses transpositions). Ces représentations du paysage vernaculaire héritent d'une réflexion plus ancienne sur la notion même d'« ordinaire », converti en objet de l'attention et de la représentation. Cette mutation culturelle, dont l'analyse est amorcée par Michel de Certeau et les co-auteurs de l'Invention du quotidien (1980), devient un motif central et cristallise un questionnement sociologique et esthétique dans le texte de Georges Perec, L'Infraordinaire (1989) : « Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. [?] Comment parler de ces "choses communes", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes. » Perec analyse la dimension problématique de l'ordinaire, qui semble faire obstacle au sens et à la représentation, dans la simple évidence de sa présence factuelle, mais il appelle aussi chacun à mettre en œuvre un questionnement généralisé (« Décrivez votre rue. Décrivez-en une autre. Comparez. »), et multiplie les impulsions à décrire, à écrire, à réécrire, qui abondaient déjà dans Espèces d'espaces (1974). A partir d'une part des OPP, corpus photographiques fondés sur la constitution d'itinéraires virtuels et de séries chronologiques de paysages (paysages d'abord saisis par le regard d'un artiste photographe, puis relayés par un texte dont le détail géographique, urbanistique ou sociologique entre en dialogue avec les suggestions dénotatives ou esthétiques de l'image), à partir d'autre part d'un corpus de textes littéraires contemporains, pour partie nativement numériques et en dialogue avec la photographie, il s'agira donc d'analyser des dispositifs d'écriture du paysage qui problématisent et valorisent la notion d'ordinaire, ainsi que la démarche active et/ou participative qui peut leur être associée. La méthode employée reposera d'une part sur une analyse sémantique de la notion d' « ordinaire », dans le discours sur le paysage, dans sa mise en application par les OPP, et dans les textes littéraires du corpus retenu, à partir de sa théorisation dans la littérature et des sciences humaines depuis les années 1960. Elle recourra ensuite à une analyse des dispositifs rhétoriques ou représentatifs mis en place dans les écritures conjointes textes / image, les montages sériels (séries chronologiques ou spatiales) dans les OPP et les textes littéraires retenus. Elle procédera enfin à l'analyse rhétorique et sociologique des orientations sur le récepteur, converti en acteur, et sur la dimension participative des projets considérés. Concernant les OPP, la mise en avant des réalisations participatives les plus saillantes inclura une étude de cas sur l'OPP développé par le CAUE 73, partenaire de la thèse. L'enjeu de cette recherche est d'approfondir la notion problématique de paysage ordinaire, et d'analyser les représentations auxquelles il donne lieu, mais aussi de formuler des propositions pour des formes de co-construction, de co-écriture des paysages ordinaires, sur les plans esthétique et sociologique, éventuellement en direction des sciences participatives. Son aspect innovant est dans l'effort de faire dialoguer des entreprises a priori disjointes, mais qui partagent dans les faits une communauté de projet, autour de la notion de paysage ordinaire et de participation. On étudiera dans un cas comment le discours contemporain sur le paysage est foncièrement ancré dans une dimension sensible et esthétique, dans l'autre comment les nouvelles écritures contemporaines se définissent par leur dimension pragmatique et leur inscription dans une collectivité agissante.
mots clés : Paysage, François Bon, Observatoires photographiques du paysage, Ordinaire, Co-construction
Directrice de Thèse : Dominique PETY
Co-directeur de thèse : Roland RAYMOND
Date de soutenance : 2023
Publications
- Svenja Jarmuschewski, Sylvain Duffard, Les Observatoires photographiques des paysages comme projets de « l’entre-deux » : l’exemple de l’Observatoire photographique des paysages de Haute-Savoie, in Représenter les paysages hier et aujourd’hui. Approches sensibles et numériques, dir. D. Pety, H. Schmutz, P. Bouvier, Publications de l’Université Savoie Mont Blanc (collection Patrimoines) – décembre 2019
- Svenja Jarmuschewski, Paysage et politique : simple stratégie marketing ou réelle source d’identité ? - étude de cas des documents d’urbanisme et de promotion touristique des Hautes Vallées de Maurienne, de Tarentaise et du Val d’Arly, in L’identité dans la recherche SHS, dir. S. Jarmuschewski, A. Prugneau – à venir
Communications
- Séminaire Paysages alpins en mouvement : regards croisés. Participation à une table ronde "Comment lire le changement dans le paysage de montagne ?" - UGA Grenoble, 03 décembre 2019
- « Les OPP comme projets de "l’entre-deux" : l’exemple de l’OPP de Haute-Savoie » avec Sylvain Duffard., Colloque international pluridisciplinaire «Corpus de paysages», Organisé par Pascal Bouvier et Dominique Pety, LLSETI, 04-05-06 Avril 2018, 9h30 – 18h00, Université Savoie Mont Blanc
- « Paysage et politique : simple stratégie marketing ou réelle source d’identité ? - étude de cas des documents d’urbanisme et de promotion touristique des Hautes Vallées de Maurienne, de Tarentaise et du Val d’Arly. », Journée d’étude des doctorants LLSETI «L’identité dans la recherche SHS», Organisé par Svenja Jarmuschewski et Annaëlle Prugneau, LLSETI, 22 octobre 2018, 9h00 – 18h00, Université Savoie Mont Blanc
Responsabilités
2019-2021 : Représentante élue des doctorants au conseil de laboratoire LLSETI
2019-2021 : Représentante des doctorants du laboratoire LLSETI auprès de l'école doctorale SISEO
Participation à des comités d'organisation
- Participation à l'organisation de la JDD SISEO 2019
- Temps d'échange avec la direction du CODUSMB sur l'offre de formation doctorale 2020, Jacob-Bellecombette, 19 octobre 2019
- Participation au comité des doctorants auditionnés lors de l'évaluation HCERES de l'établissement
- Participation au comité de préparation de l'évaluation HCERES du laboratoire