Chantier-école de la chartreuse de Mélan

Commune : Taninges
Département : Haute-Savoie
Responsable d’opération : David Jouneau, Service Archéologie et Patrimoine Bâti de la Haute-Savoie – UMR 5138 Arar
Céramologie : Lilian Ceci, Service Archéologie et Patrimoine Bâti de la Haute-Savoie – UMR 5138 Arar
Géomorphologie : Alessandro Peinetti, INRAP

Histoire de la chartreuse de Mélan

La chartreuse de Melan, appartenant à la branche féminine de l’ordre cartusien, est implanté dans la basse vallée du Giffre, au cœur du Faucigny (fig. 1).

Cet établissement a été fondé 1282 par Béatrice de Faucigny, à la fois à la mémoire de son fils Jean, successeur légitime du dauphin Guigues VII (†1269) décédé en septembre 1282, et pour affirmer l’autorité des Dauphins sur le Faucigny, terre revendiquée par le comte de Savoie. La fondation sera par la suite confirmée par trois chartes (1285, 1288 puis 1292). La Dame de Faucigny concède aux moniales un vaste domaine d’une cinquantaine d’hectares situé dans la châtellenie de Chatillon (Chatillon-sur-Cluses), au lieu-dit Melanum. Cet emplacement accueillait déjà une villa « princière » et ses dépendances, dont une chapelle, mentionnées dans le testament de la mère de Béatrice, Agnès de Faucigny (†1268), en 1262.

Contrairement aux établissements cartusiens masculins, qui se caractérisent par une organisation « cénobitique communautaire », avec le développement de cellules individuelles autour d’un grand cloître, les couvents féminins de l’ordre des Chartreux ressemblent à de nombreux monastères bénédictins, avec une vie avant tout communautaire, les religieuses partageant réfectoire et dortoirs.

L’église est le seul bâtiment de l’ensemble médiéval conservé en élévation. L’ampleur des constructions modernes puis des démolitions contemporaines ne permet pas, pour l’heure, de dresser un plan cohérent de la chartreuse avant la Réforme catholique. Le couvent est délimité par une double enceinte, qui évolue au cours du temps : une petite clôture (« petit clos »), qui ceinture l’église et les bâtiments conventuels, et la grande clôture (« grand clos »), qui délimite le domaine réservé aux moniales.

La communauté double de Mélan se répartie au nord et au sud de l’église. Les pères chartreux résident dans le corps de bâtiment méridional, composé de trois ailes organisées autour d’une cour. Les religieuses occupent le reste des bâtiments, construits au nord et à l’ouest du lieu de culte.

En 1528, le couvent est ravagé par les flammes, suivi en 1537 d’une tempête qui endommagea sérieusement les bâtiments. L’incendie donna lieu à la (re)construction du cloître accolé à la façade ouest de l’église. A l’exception du cloître, il est pour l’heure difficile de déterminer l’ampleur et la nature des reconstructions. Les principaux travaux ont lieu dans le dernier quart du XVIIe siècle, dans le sillage de la Réforme catholique : les bâtiments conventuels sont intégralement reconstruits entre 1677 et 1691.

Lorsque les troupes révolutionnaires françaises envahissent la Savoie en 1792, la communauté de Mélan est dissoute. Les religieuses sont expulsées l’année suivante.

En 1803, le révérend Marin DUCREY fonde le collège de Mélan. Il accueille les anciennes religieuses dans une partie de l’ancien couvent, où la dernière moniale meurt en 1844. L’établissement change plusieurs fois de direction (DUCREY jusqu’en 1833, les Jésuites de 1833 à 1857, puis les Missionnaires de Saint-François de Sale).

L’ancienne chartreuse devient propriété du Département avec la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, suivie par l’expulsion des derniers prêtres en 1906. Après deux décennies d’abandon et un projet avorté de transformation de l’ensemble en hospice, la collectivité territoriale décide d’y fonder un orphelinat, qui ouvre ses portes en 1923. Cet établissement fonctionne jusqu’à l’incendie de 1967 dont l’issue dramatique, marquée par le décès de 18 pensionnaires, annonce la fermeture de l’établissement, formalisée par la démolition méthodique de la grande majorité des bâtiments. Seuls l’église, le cloître occidental du XVIe siècle, la Maison des Etrangers et sa dépendance échappent à l’appétit des bulldozers.

Les bâtiments subsistants, classés (église et cloître) ou inscrits (Maison des Etrangers et écurie), ont fait l’objet de plusieurs campagnes de restauration depuis les années 1970. Aujourd’hui, le domaine de l’ancienne chartreuse est partiellement occupé par la Maison Départementale de l’Enfance et par le Parcours d’Art Contemporain du Giffre. La première œuvre y a été inaugurée en 2002, la plus récente en juillet 2023. Située à l’emplacement de l’ancien noviciat, les terrassements nécessaires à l’implantation de cette dernière ont fait l’objet d’un suivi de travaux, dont les résultats sont présentés dans ce rapport.
 

Le quartier des obédiences de la chartreuse de Mélan : état de la question

Dans une maison cartusienne, la cour des obédiences est un espace dédié aux activités économiques de la communauté, qui répondent exclusivement aux besoins de cette dernière. Nous y retrouvons ainsi la forge, la menuiserie, la boulangerie, etc. Ces activités sont essentiellement effectuées par des frères ou des sœurs convers·es ou donné·e·s, les sœurs de chœur ne pouvant s’affranchir de la clôture. Cet espace de polyactivité est également ouvert aux laïcs dont les structures d’accueil se retrouvent en périphérie.

Ces espaces, qui précèdent les bâtiments conventuels à proprement parler, se retrouvent avec de nombreuses variantes dans les différentes maisons cartusiennes mais toujours à l’interface entre le monde extérieur et le « désert ».

Le quartier des obédiences de Mélan occupe la partie orientale du monastère. Deux grands secteurs se dégagent : la cour des obédiences, accessible par la porterie, abrite la Maison des Etrangers (ou maison d’hôtes) et ses dépendances (écurie), ainsi que des installations à vocation artisanale (moulin, forge, scierie) ; au sud la ferme de l’Armailler et son pourpris constituent l’exploitation agricole.

Quatre bâtiments ont été appréhendés, dont deux sont encore en élévation (Maison des Etrangers et écuries) :

-    La Maison des Etrangers, qui accueillait les hôtes, est reconstruite au XVIIIe siècle ;
-    Accolée au flanc nord de la Maison des Etrangers, l’écurie, qui présente des éléments architecturaux caractéristiques du XVIIe siècle, est organisée sur deux niveaux : les espaces de stabulation sont au rez-de-chaussée et l’étage abrite la grange ;
-    Le bâtiment ES.6.26 mesure 20 m de longueur pour 10 m de largeur hors-œuvre, soit une surface de près de 200 m². Il pourrait s’agir d’un entrepôt, dont la nature nous échappe encore ;
-    Le dernier bâtiment, situé au nord-est (ES.6.25), est un vaste ensemble qui abritait, entre autres, un moulin, une forge, un four et un martinet (fig. 2).
 

Les bâtiments du quartier des obédiences sont reconvertis dans le cadre de la transformation du couvent en séminaire puis en collège de Jésuites après la Révolution française :

-    La Maison des Etrangers et l’écurie (ES.6.24) sont transformées en bâtiments d’exploitation agricole, probablement pour palier la perte de la ferme de l’Armaillier, qui n’a pu être rachetée par le fondateur du petit séminaire, l’abbé DUCREY.
-    Le bâtiment ES.6.26 semble toujours en usage, comme le suggère le dernier niveau de sol, aménagé avec une chape de ciment coulée sur un épais remblais gravillonneux. Aucun élément, que ce soit dans les archives ou le mobilier, ne permet toutefois d’identifier sa fonction.
-    Le bâtiment ES.6.25 continue également de fonctionner : l’activité de la forge est maintenue au rez-de-chaussée pour diverses activités (maréchal-ferrant, atelier de charron, atelier de ferblanterie). L’activité principale semble correspondre à la minoterie, avec des trémies aménagées au-dessus du local abritant les meules. La boulangerie et son four ont fonctionné jusqu’au départ des Jésuites.

Lorsque l’orphelinat départemental accueille ses premiers pensionnaires, au début des années 1920, les bâtiments ES.6.25, ES.6.26 et la scierie hydraulique n’existent plus. Le bief est abandonné au profit d’un canal de décharge en béton, construit plus au nord, le long du mur de clôture, pour alimenter une petite force motrice destinée à produire de l’électricité. La Maison des Etrangers et l’écurie sont conservées et continuent de fonctionner comme unité d’exploitation agricole au service de l’orphelinat. La période de l’orphelinat se caractérise également par la construction d’une halle à grains, entre l’ancien moulin et la clôture orientale.

Le canal de décharge, la petite dépendance abritant la force motrice et la remise sont détruits en même temps que les bâtiments de l’orphelinat, après l’incendie de 1967. Les matériaux de démolition sont étalés puis recouverts d’un apport de terre plus ou moins important destiné à niveler le terrain.
 

Le chantier archéologique

Suite à l’évaluation archéologique du quartier nord des obédiences, réalisée en septembre 2023, le Service Archéologie et Patrimoine Bâti de la Haute-Savoie et l’Université Savoie Mont Blanc proposent de mener un chantier-école sur les anciens moulins de la chartreuse, ayant fonctionné du XVIIe au début du XXe siècle.

La fouille se déroulera sur trois campagnes (fig. 3). Celle de 2024 concernera l’annexe du moulin abritant la roue et les meules ainsi que le tronçon de bief associé. Les années 2025 et 2026 seront consacrées à la fouille des ateliers (minoterie, boulangerie, martinet, forge et atelier de charron).

Parallèlement, une documentation archéologique sera réalisée sur les bâtiments encore en élévation des obédiences (Maison des Etrangers et écuries du XVIIe siècle), ainsi que l’inventaire des éléments lapidaires éparpillés sur le site de la chartreuse.

L’objectif de cette opération archéologique pluriannuelle est triple :

-    Retrouver l’emplacement des bâtiments détruits (cloître et ailes latérales du couvent) afin de mieux connaître la topographie du site et la vie de la communauté monastique ;
-    Apporter de nouvelles connaissances afin d’alimenter les contenus de valorisation ;
-    Former les étudiants en histoire et archéologie aux méthodes de l’archéologie (fouille, relevés, photographie, conditionnement du mobilier, etc.).

Cycles de conférences

Suivant le principe des chantiers-écoles de l’Université Savoie Mont Blanc, un cycle de conférences sera organisé au cours du mois de juin, destiné aux stagiaires et au grand public, dont une intervention pendant le weekend des Journées Européennes de l’Archéologie.

 

 

Financements

Le chantier-école de la chartreuse de Mélan bénéficie du soutien du département de la Haute-Savoie, du ministère de la Culture, de l’université Savoie Mont Blanc et du laboratoire LLSETI.